Nomination à l’Observatoire, aménagement des alentours de l’Observatoire

[note moderne au crayon en marge] : 1828/001/D

A Messieurs le Bourgmestre & Echevins de la Ville de Bruxelles

Messieurs,

J’ai l’honneur de vous annoncer que Sa Majesté, par arrêté du 3 de ce mois, a bien voulu m’attacher à l’Observatoire de Bruxelles, en qualité d’astronome. J’ose espérer, Messieurs, que dans cette nouvelle carrière je continuerai à trouver chez vous l’appui et la bienveillance qui me sont si nécessaires pour atteindre le pénible but que je me suis proposé. Grâce à la munificence de Sa Majesté et à votre généreuse intervention, nous aurons, j’espère, un observatoire qui pourra rivaliser avec les premiers de l’Europe. Mais il ne suffit pas que ce monument contribue à embellir la ville ; s’il ne devient utile à la science, il sera un objet de continuels regrets pour les autorités qui l’ont fait construire et pour l’astronome qui y devra passer ses jours.

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Vous vous rappellerez sans doute, Messieurs, que la crainte d’être dérangé par le voisinage de la route et par les maisons que l’on bâtit dans les alentours, m’avait porté à vous demander avec instance d’établir l’observatoire sur la hauteur de Schaerbeek. Je suivais en cela les règles de prudence recommandées par tous les astronomes. Le désir que vous avez exprimé de voir ce monument contribuer à embellir la ville m’a fait supprimer ma demande. Quoique la position actuelle soit moins avantageuse que celle que j’avais eu l’honneur de vous recommander, cependant elle paraît convenable, elle serait même très belle si l’on ne bâtissait autant dans les environs. Il importe surtout d’avoir le méridien libre ; sans cette condition, il n’y a point d’astronomie. Heureusement du côté du midi, nous devons être sans crainte à cet égard, puisque la méridienne longe le boulevard de Louvain, où il devient impossible de bâtir. Il n’en est pas de même vers le nord : on peut bâtir derrière l’observatoire et nous ôter la faculté d’établir une mire pour la vérification des instrumens. Si la vue était interceptée de ce côté, l’astronome se trouverait dans la position la plus critique. J’ai cru, Messieurs, devoir appeler votre attention sur un point de cette importance

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Vous m’accuseriez avec raison si je m’y prenais trop tard pour vous en prévenir; puisque les dépenses que vous faites deviendraient sans utilité. Je ne sais cependant, si je dois en croire ce que j’ai entendu répéter depuis quelques jours et ce qui semble confirmé par des mesures que j’ai su prendre, mais il paraitrait qu’on voudrait rapprocher encore de l’observatoire le mur et la route extérieure qui en sont déjà beaucoup trop rapprochés. Si ce malheureux changement avait effectivement lieu, on rendrait l’observatoire inutile avant même de l’avoir construit. Le bruit des passans et des voitures, la poussière de la route, les attroupemens des curieux ne permettraient pas un instant d’ouvrir les fenêtres. Dans le cas où ce chang[ement] serait projeté, je vous prierais avec instance, Messieurs, de le suspendre et d’en faire l’objet d’un nouvel examen. Si le désir ardent que j’ai de servir une science qui a été si longtemps négligée parmi nous, si mes constantes études, mes voyages et les conseils que j’ai reçus des premiers savans de l’Europe ne vous inspirent aucune confiance, prenez des astronomes que vous croirez pouvoir consulter avec plus d’avantage : je m’en remets d’avance à leur jugement. Ce n’est point ici une affaire de caprice, mais je tiens à mon honneur, au vôtre, Messieurs ; les savans étrangers se détourneront pour voir votre observatoire et je désirerais pouvoir les recevoir sans honte. C’en serait une si j’avais manqué aux premières règles de prudence, [si] je m’étais laissé cerner par des routes

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sans avoir éclairé l’autorité, sans avoir exposé les besoins de l’astronomie qui demande à être cultivée dans le silence et le recueillement.

J’ose espérer que les craintes que j’exprime sont mal fondées. S’il en était autrement, du moins, j’aurais la triste consolation d’avoir rempli mon devoir et de pouvoir citer cette lettre pour ma justification personnelle. Des exemples malheureusement célèbres m’ont appris quelle est l’éminente responsabilité que j’ai contractée. Quand on construisait l’observatoire de Paris, il s’éleva une discussion entre l’astronome CASSINI et l’architecte PERAULT [PERRAULT]. LOUIS XIV céda à ce dernier et l’on dépensa des sommes considérables et l’on fit le monument le plus absurde qui soit en Europe. Combien il serait douloureux que notre observatoire acquît la même célébrité dans l’histoire des sciences.

Date: 
Jeudi, 31 janvier, 1828 - 00:00
Écrit par: 
A. Quetelet
Adressé à: 
Bourgmestre et échevins de la Ville de Bruxelles
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