Position et traitements des aides de l’Observatoire

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[À] Monsieur le Ministre de l'Intérieur
Bruxelles, le 1 mai 1854
Monsieur le Ministre,
Par votre lettre du 22 mars dernier n° 1627/68, 5e division, vous voulez bien m’inviter à vous faire des propositions au sujet de la position et du traitement de mes aides. Je ne vous dissimulerai pas l’embarras dans lequel je me trouve pour concilier à la fois les intérêts de la science, ceux du gouvernement, et ceux des aides qui doivent me seconder.
Dans les différents observatoires qui méritent véritablement ce nom, la position des adjoints est très belle et très avantageuse : c’est à cette condition seulement que l’on peut espérer d’avoir des hommes capables et qui consacrent tout leur temps à l’observation et aux calculs pénibles qui en dépendent. Pour ne citer qu’un exemple, je rappellerai qu’avant la réorganisation de l’Observatoire de Paris, les quatre astronomes adjoints étaient tous quatre membres de l’Institut de France.
Sans prétendre aux avantages qu’on leur assure en France et en Angleterre, j’estime, Monsieur le Ministre, que mes deux principaux aides devraient être assimilés aux professeurs extraordinaires de nos universités et en avoir le traitement, mais sous la condition de se consacrer entièrement à l’Observatoire et de ne pas se laisser distraire par d’autres travaux.
Chez nous, la position des adjoints est véritablement déplorable : après vingt ans de services, mon premier aide n’a pas même le traitement du dernier des élèves astronomes de Paris qui cependant sont bien moins rétribués que ceux de Londres. De là résulte que le temps qui m’est donné a été mis en rapport avec l’exiguïté de leur traitement ; et d’autre part, qu’une lacune immense subsiste dans l’Observatoire qu’il m’a été impossible de faire marcher de front tous les travaux de l’établissement.
La météorologie et la physique du globe ont été cultivées chez nous, avec la plus grande assiduité ; l’on chercherait vainement ailleurs des collections d’observations plus complètes : aussi notre Observatoire passe-t-il, sous ce rapport, pour un des premiers de l’Europe. Malgré tous mes soins, il n’en est pas de même en astronomie ; nous n’avons cependant rien à envier aux autres pays pour la beauté et la bonté des instruments. Ce qui nous manque, c’est un nombre suffisant d’observateurs.
Vous le savez, Monsieur le Ministre. Nous possédons un matériel magnifique, mais qui reste à peu près improductif pour la science. Aux termes du règlement, deux aides observateurs devraient être attachés à l’Observatoire : l’un, M. BOUVY, est plus spécialement chargé de tout ce qui se rapporte à la météorologie et à la physique du globe ; l’autre, qui devrait être chargé de la partie délicate des observations astronomiques, n’a pu être nommé jusqu’à présent malgré tous mes efforts, depuis trois à quatre ans, pour en trouver un capable. La modicité du traitement (1 400 francs) rebute tous les hommes de quelque mérite qui auraient pu aspirer à la place. Après avoir reçu des subsides, quatre ou cinq jeunes gens sortis des universités ont été jugés incapables de la remplir ou n’en ont pas voulu. Il en est résulté que, tous les ans, il y a eu lacune dans le service et que le traitement de la place vacante a été partagé par un sentiment de justice entre les autres aides de l’Observatoire qui feraient la partie la plus urgente du travail en souffrance.
C’est là véritablement une anomalie qu’il importe de faire cesser ; je n’y trouve qu’un remède, c’est d’élever le traitement de l’aide astronome à un taux qui permette de trouver enfin un homme capable, j’estime qu’il conviendrait de le porter au moins à 3 000 francs, et ce traitement est bien inférieur encore à celui de professeur extraordinaire d’une université de l’État, quoiqu’il n’y ait pas la moindre comparaison à établir entre les difficultés de l’une et de l’autre position. Vous pourrez en juger, Mr le Ministre, par les conditions que j’attache à cette place qu’un traitement de 3 000 francs serait loin d’être exagéré. Le candidat aurait à faire preuve 1° d’avoir suivi, avec succès, des cours de qu’il possède à fond les mathématiques supérieures ainsi que les cours de sciences
d’observation ; 2° qu’il a été gradué dans une de nos grandes institutions scientifiques ; 3° qu’il est en état de faire les calculs de l’astronomie pratique et notamment celle des comètes et des orbites planétaires. Il s’obligerait en outre de donner tout son temps à l’Observatoire et de s’y trouver régulièrement, de jour comme de nuit, soit pour faire les observations astronomiques, soit pour les réduire.
Cette dernière obligation, en dehors de la double condition d’être bon observateur et calculateur exercé, motiverait suffisamment la différence de traitement par rapport à ceux des autres aides, qui d’ailleurs ne donnent à l’Observatoire qu’une partie très limitée de leur temps. J’estime cependant que leur position aussi doit être améliorée et c’est pour ce motif, Monsieur le Ministre, que je vous prierais de proposer aux chambres de rétablir sur le budget de l’Observatoire l’ancien chiffre accordé à cet établissement, c'est-à-dire 24 000 francs, dont 16 840 seraient affectés aux divers traitements. Les 2 000 francs rétablis [?] au budget serviraient à faire à l’aide astronome un traitement suffisant et à améliorer la position des autres aides. Je croirais même devoir demander également 3 000 francs en faveur de ces derniers, s’ils s’obligeaient aussi à donner tout leur temps à l’Observatoire. Ce serait à la fois un acte de justice et j’ajouterai de bonne administration : on ne verrait plus un riche matériel astronomique, dû aux premiers mécaniciens de ce siècle, rester à peu près perdu, faute d’observateurs suffisants.
Agréez

Date: 
Lundi, 1 mai, 1854 - 00:00
Écrit par: 
A. Quetelet
Adressé à: 
Ferdinand Piercot, ministre de l'Intérieur
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