Absence pour maladie, confection d’un outil

Monsieur Quetelet,
Il y a quelques jours, le médecin m'ayant permis de sortir, je n'eus d'autre envie que celle d'aller vous trouver ; malheureusement, la longueur du chemin et le vent froid ont agi d'une manière détestable sur moi ; à mon retour, je fus accablé d'un accès de sang que je crachai et qui m'indisposa au point de faire chercher le docteur : il arriva le lendemain matin et comme j'avais déjà déjeuné, il m'interdit toute nourriture jusque son retour qui eut lieu l'après-midi puis il me fit une saignée d'où il me tira beaucoup de sang, m'assigna le lit ainsi qu'une diète sévère. Il est revenu hier matin à 11 heures, et me trouva dans un état faible mais satisfaisant. Tel est, Monsieur, l'état de ma santé.
Dorénavant, je serais plus prudent, et dès
que je serai bien portant, j'irai me loger beaucoup plus près de l'Observatoire car j'ai déjà fait arrêter un quartier hors la porte de Louvain.
Ma mère trouvant que je n'étais pas soigné là où je demeurais, a voulu que je revinsse chez elle où elle peut me prodiguer ce qu'une mère a de plus précieux pour ses enfants. Mais comme je suis revenu à la maison, j'ai dû arrêter mon compte avec les gens, et il m'a été très pénible de les quitter sans pouvoir les satisfaire. Si vous la bonté [sic], Monsieur, de vouloir bien me donner des renseignements pour parvenir sinon à recevoir du moins à hâter l'envoi du montant de l'indemnité qui m'a été accordée, ma mère se chargerait de faire les démarches à ce nécessaire ; et je vous en devrai tant plus de reconnaissance.
Un Monsieur CHAMPY excellent vieillard et qui s'intéresse fort à mon état en venant me voir tous les jours, m'a demandé si je pourrais lui fournir des renseignements à suivre
pour obtenir les tableaux des quantités d'eau tombée depuis quelques années pour un ouvrage m'a-t-il dit qu'il est occupé à faire sur le débordement des rivières.
Envieux d'obtenir votre ouvrage sur le Climat de la Belgique et à cette occasion, je prends la franche liberté de vous prier de vouloir bien m'en faire parvenir un exemplaire et qui serait s'il vous conviendrait [sic], à déduire de l'indemnité que vous avez bien voulu m'accorder et me réserver en entier.
Cela me procurerait à la fois un bel et digne ouvrage pour mon humble bibliothèque, et le moyen de me désennuyer car j'en parcourerais [sic] alors les différentes parties avec tant plus de plaisir que ne possédant aucun ouvrage de cette conséquence sauf celui que vous avez bien voulu me donner Sur les phénomènes périodiques et que j'ai soin de bien conserver, je n'ai rien à pouvoir lire, du moins avec plus de fruit que celui que je vous demande. Je n'ai osé vous faire cette demande verbalement à cause que je vous voyais souffrant et c'est dans l'espoir que la présente vous trouvera en meilleur état c'est du moins
ce que j'espère, que je me suis engagé à cette demande.
Je viens aussi d'avoir une visite d'un cousin ouvrier mécanicien, dont je crois vous avoir déjà parlé. Ce malheureux garçon qui aidé de deux plus jeunes frères a pour charge d'entretenir des parents infirmes, est en ce moment sans besogne à l'atelier où il est employé et comme je lui avais parlé il y a quelques temps d'un tour qui m'est nécessaire, il est venu me demander de pouvoir le lui laisser faire et comme je lui ai dit que j'aurais aimé vous en parler, il m'a prié de bien vouloir hâter cette demande. Son patron veut bien lui fournir crédit pour la matière première ainsi qu'il lui laisse à disposition les outils de l'atelier, se basant sur la moralité de ce cousin. D'après le devis qu'il m'a ici fait, il se chargerait de construire ce tour pour la somme de 90 à 100 fr. (à 10 fr. près) je crois bon s'emparer d'une telle occasion tant plus que par là, ce cousin serait un peu soulagé du chômage ainsi que de la cherté de vivre par le temps qui court. À son dire, il livrerait l'outil
et les accessoires dans une dizaine de jours.
Toutefois, Monsieur, je lui ai fait entendre qu'il devrait attendre pour le paiement en cas de livraison cinq semaines ou plus (sans trop le savoir moi-même). D'ici là, il ne serait pas gêné vu qu'il trouverait entretemps le nécessaire pour sa famille à la maison.
En attendant une réponse, croyez Monsieur à l'expression des sentiments les plus distingués de votre tout soumis et tout dévoué serviteur,
[signé] L. Blanpain
Ixelles, le 15 juillet 1854

Date: 
Samedi, 15 juillet, 1854 - 00:00
Écrit par: 
Léopold Blanpain, aide-mécanicien à l’Observatoire
Adressé à: 
A. Quetelet
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