Budget de l’Observatoire, contingent et rémunération des aides

1 Annexe
Bruxelles, le 14 novembre 1854
Monsieur le Ministre,
Par votre lettre du 9 août dernier, n° 1627 / 68, 5e div., vous avez bien voulu me faire connaître que vous appréciez la nécessité de reconstituer, d’une manière régulière et complète, partie du personnel de l’Observatoire ; mais que pour le moment vous pensez devoir ajourner cette affaire.
Je me suis permis tout récemment de rappeler votre attention sur cette question vitale pour l’établissement que je dirige ; et je me suis attaché à vous montrer que l’ajournement serait en quelque sorte la ruine de l’Observatoire.
D’après votre autorisation verbale, j’ai l’honneur de vous soumettre une nouvelle note. J’y présente une combinaison qui, dans le cas extrême où l’on maintiendrait l’état actuel de mon budget, n’aurait du moins pas l’inconvénient de rendre tout travail impossible.
Il est une autre considération que je me permettrai de faire valoir, M. le Ministre, et je vous la soumets avec quelque répugnance parce qu’elle m’est personnelle. Je compte actuellement 40 années de service ; et peut-être ai-je droit à trouver auprès des chambres et du gouvernement la même bienveillance que j’y ai toujours rencontrée. Je ne viens pas réclamer le repos quand je me sens encore toute la force nécessaire pour rendre d’utiles services, mais je voudrais ne pas perdre les moyens de mettre à profit les riches matériaux que j’ai laborieusement rassemblés pendant ma longue carrière.
En dehors de travaux particuliers et de ceux que m’impose la direction de l’Observatoire, je voudrais pouvoir terminer trois grands ouvrages dont le premier est à peu près achevé : celui sur le climat de la Belgique. Je crois pouvoir répéter, sans être taxé de vanité, ce qui a été dit par les hommes les plus compétents, que c’est l’ouvrage dans ces matières

le plus complet de ce genre qu’on ait fait dans aucun pays. Cependant je ne me fais pas illusion à cet égard, et pour le regarder comme complet, je voudrais en faire encore deux autres dont j’ai réuni tous les matériaux. L’un est relatif à la physique du globe (en Belgique) ; et le 3e servant de complément aux deux premiers, présenterait, pour la Belgique, la météorologie et la physique du globe dans leurs rapports avec le règne végétal et le règne animal ; mais particulièrement avec l’homme. S’il m’est donné d’achever ces grands travaux, je croirai m’être acquitté de ma dette envers mon pays.
Maintenant ce que je demande, c’est qu’on me donne des aides capables de me seconder et qui méritent assez ma confiance pour que je puisse leur livrer mes papiers et les résultats de mes recherches, si je n’avais pas le temps de les publier moi-même.
Serait-ce porter trop loin mes exigences, M. le Ministre ? Je ne le pense pas. Le gouvernement d’ordinaire accorde des subsides quand il s’agit de grands travaux qui intéressent à un haut point la connaissance de notre pays. Je me borne à demander ici qu’on rétablisse l’ancien chiffre de l’Observatoire afin de me permettre de conduire dignement les travaux de cet établissement ; et de nous maintenir sur un pied convenable en présence des autres nations civilisées.
Agréez &a
Note sur les améliorations urgentes à introduire dans l’Observatoire royal
L’Observatoire de Bruxelles, sous le rapport des instruments, est un des plus complets qui existent, tel est au moins le jugement de M. de HUMBOLDT, et des nombreux savants qui l’ont visité.
Cet établissement s’occupe de deux espèces de travaux 1° d’astronomie ; 2° de météorologie et de physique du globe.
Pour ces derniers travaux, l’Observatoire de Bruxelles est aujourd’hui placé en première ligne ; pour les travaux astronomiques, il se trouve dans un rang très inférieur ; non parce que les observations sont médiocres mais parce que leur nombre est exceptionnellement restreint, faute d’observateurs.
[note en marge] Voir, dans les annexes les observations de Bruxelles comparées à celles de Greenwich et de Pulkovo, les deux premiers observatoires de cette époque.
Le manque d’observateurs provient du manque de fonds pour les rétribuer convenablement. Il n’existe aujourd’hui à l’Observatoire qu’un aide calculateur, un mécanicien et un aide observateur qui, vu la modicité de son traitement (1 400 fr.) n’observe que deux soirées par semaine, et pendant trois heures seulement.
Le budget de l’établissement alloue, il est vrai, une seconde somme de 1 400 francs pour un second aide observateur ; mais, depuis trois ans, il m’a été impossible de trouver un aide à ce prix, même en cherchant parmi les commençants, au sortir de leurs études.
Si cet état de choses devait continuer, il vaudrait mieux fermer les salles d’observations pour la réputation de l’Observatoire et celle du pays.
Le seul moyen de remédier à cet état de choses serait de rétablir le budget de l’Observatoire tel qu’il était avant 1849, époque où par une fatale méprise il a été diminué d’une manière permanente de 2 000 francs (voir ma lettre du 18 janvier 1853).
Moyennant la somme de 24 000 francs et avec de grandes économies, on pourrait rendre l’établissement à sa destination et lui faire reprendre le rang où il avait réussi à se placer. Mes lettres du 1er mai et du 23 juin de cette année renferment des détails très circonstanciés à cet égard.
J’indique ci-après comment on pourrait établir le budget.
Si, contre tout espoir, le budget de 24 000 francs n’était pas adopté, je présenterais une seconde combinaison comme étant moins fâcheuse que la combinaison actuelle qui est la plus désastreuse qui puisse se présenter, puisqu’il n’est même pas possible d’observer et qu’on laisse improductif un matériel des plus précieux qui soient en Europe, matériel dont la détérioration est extrêmement prompte quand il se trouve hors d’usage.
Projet de Budget pour l’Observatoire
Personnel 1ère combinaison 2e combinaison
Le Directeur 8 400 francs 8 400 francs
Un aide pour l’astronomie 3 000 3 000
la météorologie et phys. 2 400 1 400
calculateur 1 800 1 600
mécanicien 1 200 1 200
concierge 840 840
Personnel 17 640 16 440
Matériel 6 360 5 560
francs 24 000 francs 22 000

1ère combinaison
Ma lettre du 1er mai de cette année énonce les conditions essentielles auxquelles devrait satisfaire l’aide astronome ; il devrait réunir le double mérite d’être habile observateur et savant calculateur. Aussi je ne considère le traitement qui lui serait alloué que comme un minimum.
Le traitement de M. BOUVY serait élevé à 2 400 francs, sous la condition de donner désormais tout son temps à l’Observatoire. On lui laisserait toutefois l’indemnité de 600 frs qu’il reçoit de l’Académie comme adjoint au secrétariat pour la partie des sciences, en sorte que par ce fait il recevrait également 3 000 frs.
M. MAILLY, après 25 ans de travaux à l’Observatoire, a droit à une augmentation. Son traitement serait fixé à 1 800 francs ; il resterait comme à présent assujetti à venir à l’Observatoire de 9 heures à 2 heures.
Rien ne serait changé pour le mécanicien et la concierge. Je ferai observer cependant à ce sujet que l’Observatoire est le seul grand établissement peut-être où il ne se trouve ni huissier ni domestique mâle qui puisse aider aux travaux ; et que l’Observatoire reste sans surveillance pendant la nuit.
Pour pouvoir faire face aux dépenses pour le personnel, il a fallu retrancher sur le matériel, déjà fort en souffrance, mais j’ai compté que la dépense pour les exemplaires de l’Annuaire qui a été me semble-t-il, induement [sic] porté sur le budget de l’Observatoire devrait figurer désormais sur les celui [sic]
des encouragements. L’Annuaire, il est vrai, se fait et se publie par les soins de l’Observatoire, mais c’est une entreprise particulière dont l’imprimeur HAYEZ court les chances. Quand il vend au gouvernement un certain nombre d’exemplaires, pour être distribués aux chambres et aux bibliothèques, il paraît juste qu’on suive dans le paiement la même marche que pour les autres ouvrages scientifiques que le gouvernement encourage et fait distribuer en son nom.
2e combinaison
Tout est laissé sur le pied actuel, mais on déplace 1 600 francs, pour les reporter du matériel sur le personnel, et former à l’aide plus spécialement chargé des travaux astronomiques un traitement de 3 000 (traitement égal du reste à ceux de MM. BOUVY et MAILLY qui donnent actuellement la moitié de leur temps, l’un pour les calculs, l’autre pour les observations).
Je le répète du reste, dans cette combinaison, on va au plus pressé ; l’on observera, mais je ne garantis pas qu’on puisse imprimer les observations, mieux vaut cependant cette position que l’inverse.
Bruxelles, le14 novembre 1854
Le Directeur de l’Observatoire
[paraphe] Q

Date: 
Mardi, 14 novembre, 1854 - 00:00
Écrit par: 
A. Quetelet
Adressé à: 
Ferdinand Piercot, ministre de l’Intérieur
Image: