Rapport sur l’état et les travaux de l’Observatoire en 1858

1858
Monsieur le Ministre,
J’ai l’honneur de vous adresser mon rapport annuel sur l’état et les travaux de l’Observatoire pour l’année 1858.
J’avais espéré pouvoir y mentionner la récompense honorifique que je sollicite depuis près d’un an en faveur du plus ancien de mes aides.
Je regrette que vous n’ayez pas cru opportun de comprendre jusqu’ici parmi les établissements auxquels des récompenses de ce genre sont accordées périodiquement, l’Observatoire qui pourtant s’est créé une place honorable dans le monde savant.
Agréez
[note de Mailly au crayon] Je n’ai pas eu le temps de reporter les corrections sur le manuscrit]

1858
À Monsieur le Ministre de l’Intérieur &a &a
Rapport sur l’Observatoire en 1858
Bruxelles, le 21 décembre 1858
Monsieur le Ministre,
J’ai essayé de faire comprendre exposé, dans mes rapports précédents, quels motifs ont plus particulièrement déterminé la nature dirigé les travaux de l’Observatoire. J’ai dû, pendant les premières années, donner plus de temps à la météorologie et à la physique du globe qu’aux travaux astronomiques ; tout en effet semblait encore à faire chez nous, pour les deux premières sciences : la météorologie avait à peine commencé quelques travaux, il existait encore des erreurs grossières sur ses notions les plus élémentaires ; quant à la physique du globe, elle avait été complètement négligée. J’ose croire que ces vides sont aujourd’hui comblés, et que notre atmosphère et notre sol sont aussi bien connus qu’ils peuvent l’être dans l’état actuel des choses ; ce qui me permet de parler avec quelque confiance, c’est le jugement bienveillant que les savants des différents pays ont bien voulu porter sur les résultats de nos recherches.
Le travail scientifique est terminé, autant du moins qu’il peut l’être dans l’état actuel de la science ; mais pour rendre ses résultats populaires, il resterait encore à faire deux ouvrages qui éloigneraient les formes scientifiques, et permettraient à chacun de connaître ce qui est vraiment usuel.

J’ai eu l’honneur de vous parler de ce nouveau travail, Monsieur le Ministre, mais différentes raisons me forcent à mon grand regret d’en remettre l’exécution à une autre époque.
Dans l’état actuel des choses, et après avoir travaillé, pendant un quart de siècle, à réunir tous les documents susceptibles de varier par l’influence des saisons, soit dans l’atmosphère, soit dans le sol, je puis tourner mon attention vers l’astronomie, et chercher à donner quelque développement à une science qui a été négligée également dans nos climats. C’est vers l’astronomie, principal but des travaux de l’Observatoire, que doivent désormais se diriger particulièrement nos recherches.
Les principaux documents à obtenir, ceux qui méritaient le plus notre attention, ont été recueillis dès la naissance de l’Observatoire : on s’en occupait déjà, même pendant la construction du bâtiment. Les éléments géodésiques (la longitude, la latitude et l’altitude) sont connus maintenant avec le même soin que ceux des observatoires plus anciens.
Nous avons observé plusieurs fois ces éléments, et par différentes méthodes ; dans les derniers temps même, notre Observatoire s’est placé parmi les établissements qui ont travaillé le plus activement à connaître leur longitude par le nouveau procédé des moyens galvaniques. Bruxelles fait actuellement partie de la plus belle ligne géodésique qu’on ait tracée en Europe. Cette ligne s’étend depuis Edimbourg jusqu’à Kœnigsberg, en passant par Greenwich, Bruxelles et Berlin. L’opération a été faite avec plusieurs des astronomes les plus distingués de cette époque ; et leurs résultats prouvent que nous pouvons avoir toute confiance en nos éléments, si notre gouvernement jugeait à propos de combler le vide qui existe encore pour la Belgique dans la carte géodésique de l’Europe.
Voici comment s’exprime à cet égard le directeur de l’Observatoire royal de Berlin,

le célèbre professeur ENCKE, en présentant un aperçu de ce travail qui sera décrit avec tous les développements nécessaires dans les mémoires de l’Académie royale de Prusse :
« À Berlin, nous avons avons [sic] toujours observé à deux, M. le Dr BRUHNS et moi ; pendant quelques jours nous avons observé à trois : M. le Dr FORSTER s’étant joint à nous. La moyenne de toutes les observations faites le même jour, a constamment été adoptée comme résultat de ce jour, ce qui était d’autant plus permis que le Dr BRUHNS et moi ne différions en général que dans les centièmes de seconde, et que le Dr FORSTER observait peut-être 0S,2 plus tôt.
« À Bruxelles, les observations étaient faites par Mr Ernest QUETELET, le fils de notre correspondant, Mr QUETELET, directeur de l’Observatoire.
« Mr le Dr BRUHNS et Mr Ernest QUETELET étaient chargés de la détermination du temps, et se sont comparés pour leur équation personnelle à Berlin et à Bruxelles.
« Le temps que met le courant à parcourir la double distance entre Bruxelles et Berlin était, avec une très grande concordance, de 0S,36. Pour obtenir la vraie différence des longitudes, sans avoir égard à la direction du courant, il fallait donc diminuer de 0S,18 la longitude orientale de Berlin, par rapport à Bruxelles déterminée par les moments de Bruxelles, c’est-à-dire quand le courant allait de Bruxelles vers Berlin, et, au contraire, augmenter de 0S,18 la longitude obtenue, quand le courant allait de Berlin à Bruxelles ».
De ces divers travaux il est résulté que la différence des longitudes entre Bruxelles et Berlin a été reconnue être de
36m 6S,49.
Ce résultat est exactement confirmé en tenant compte de la longitude de Bruxelles et de Greenwich déterminée précédemment, à la longitude directe entre Greenwich et Berlin obtenue par le transport d’un grand nombre de chronomètres par d’autres déterminations faites précédemment avec les plus grands soins entre les observatoires de Berlin, de Bruxelles et de Londres.

L’Observatoire a donc fait pour la géodésie tout ce qui pouvait être attendu.
Quant à l’astronomie, les travaux, exécutés surtout depuis deux à trois ans dans ces derniers temps, pourront prouver que l’Observatoire n’est pas indigne de la confiance que lui ont témoignée les établissements les plus distingués de ce genre. Les travaux recueillis aujourd’hui avec plus de soin et de considération ont un but marqué qu’ils n’avaient pas précédemment. Les astres sont généralement relevés aux deux instruments méridiens, pour l’ascension droite et la déclinaison, et leur position est aussi complète que possible.
Parmi les astres observés, il a fallu, pour procéder avec ordre, s’attacher plus spécialement à suivre une même marche. Il est convenu maintenant, à cause de l’étendue de la science, que les observatoires doivent avoir un but marqué à moins de courir le risque de se perdre dans des généralités. Chaque observatoire, s’il veut se rendre utile, choisit le genre de travaux qui convient le mieux à ses observateurs et à ses instruments. Nous avons été portés particulièrement vers l’observation des étoiles doubles, multiples et vers les étoiles à mouvements variables. C’est un genre de recherche qui ne se fait d’une manière suivie que dans quelques observatoires et dont les calculs épineux sont encore généralement peu suivis. Il faut des calculateurs habiles pour les exécuter, mais je crois pouvoir m’en rapporter entièrement aux soins de M. MAILLY qui m’aide avec persévérance et exactitude depuis vingt-cinq ans, et de mon fils qui a quitté le génie militaire pour me seconder. Le premier vient de terminer la réduction des observations faites au cercle mural pendant les années 1855 et 1856, pendant que le second calculait les observations de la lunette méridienne pour les mêmes années.
L’insuffisance des calculateurs a malheureusement fait négliger jusque-là de réduire les observations méridiennes pour les cinq années de 1850 à 1854 inclusivement ; cette partie fait malheureusement surtout défaut dans nos publications. Nous ne pensons pas qu’elle soit enseignée dans aucun de nos établissements supérieurs. L’astronomie, en effet, et même la mécanique céleste, sont tout autre chose que le calcul astronomique d’un observatoire. Je pourrai

en citer l’exemple le plus frappant par ce que j’ai pu voir moi-même pendant mon séjour à l’Observatoire de France : le plus grand géomètre de ce pays, l’immortel LAPLACE recourait pour tous les travaux usuels à son ami Mr BOUVARD qui a fait presque tous les calculs astronomiques de la mécanique céleste, comme l’atteste d’ailleurs cet illustre astronome dans le cours de son ouvrage. Ce serait donc à tort qu’on préjugerait à cet égard. En France et dans tous les pays éclairés, le calculateur astronomique siège dans les assemblées scientifiques, à côté du mathématicien qu’il seconde.
Quant à la partie des observations mêmes, elle se fait par Mr BOUVY et par mon fils qui sert à la fois aux fonctions d’observateur et de calculateur. Les travaux aux [sic] cercle mural sont faits en même temps par Mr HOOREMAN, spécialement chargé en outre de l’entretien des instruments de l’Observatoire et d’une partie de l’inscription des observations météorologiques dont la réduction est plus spécialement du domaine de Mr BOUVY.
Je ne parlerai pas des acquisitions de nouveaux instruments, car il me serait impossible de m’en procurer avec le faible budget alloué à l’établissement. D’ailleurs, vous avez bien voulu me prévenir, Mr le Ministre, que des fonds spéciaux seraient accordés pour de pareilles acquisitions. Je puis prévoir du reste qu’avec le reliquat de compte de l’année dernière et les frais d’établissement pour les conduites d’eau qu’on propose d’établir, le budget tel qu’il est actuellement sera tout à fait insuffisant.
Les publications qui ont paru ou qui seront publiées bientôt sont :
1° L’Annuaire de l’Observatoire pour 1859, 26e année
2° Les Annales de l’Observatoire in-4° tome 13e
3° Periodische Erscheinungen der pflanzen in-8°. Ce travail a paru dans le 1er volume du nouveau recueil que publie Mr PETERS, directeur de l’Observatoire d’Altona
4° Les Observations des phénomènes périodiques pour 1857, avec le concours des savants belges in-4°
Pour ce qui concerne l’entretien de l’établissement, je suis heureux de pouvoir assurer qu’il ne laisse rien à désirer. Il est surveillé avec soin

avec soin par le ministère des Travaux publics et l’on peut a cherché à obvier aux dérangements instantanés qui pouvaient subvenir.
Différents savants, venus de l’étranger, ont fait des séjours plus ou moins prolongés à Bruxelles, pour se mettre au courant de nos travaux ; il en est plusieurs même qui ont bien voulu prendre temporairement part à nos recherches. : je citerai en particulier MM. le Docteur Mathias DE CARVALHO DE VASCONCELLOS, professeur à l’Université de Coïmbra, et RAJA GABAGLIA, officier de la marine brésilienne, qui se sont associés à nos observations de l’éclipse solaire du 15 mars dernier.
Je pense, Monsieur le Ministre, que dans la position exceptionnelle où l’Observatoire s’est trouvé jusque dans ces derniers temps, il n’a rien négligé pour établir les fondements d’une météorologie et d’une physique du globe qui manquait entièrement à notre pays ; il a fait tout ce qui dépendait de lui pour seconder les relevés géodésiques de la Belgique, si cette grande opération commencée tant de fois, doit s’exécuter un jour ; et enfin, rendu à lui-même, il a tourné aujourd’hui tous ses soins vers le perfectionnement d’une branche des plus importantes de l’astronomie, celle des étoiles doubles et à mouvements variables.
Agréez, je vous prie, Monsieur le Ministre, les assurances de mes sentiments respectueux.

Date: 
Mardi, 21 décembre, 1858 - 00:00
Écrit par: 
A. Quetelet
Adressé à: 
Charles Rogier, ministre de l'Intérieur
Image: