Justification de comptes, instruments de Charles Wheatstone

[ceci est la minute de la réponse de Quetelet à la lettre du ministre de l'Intérieur du 12 février 1850]

[À] Monsieur le Ministre de l’Intérieur

Bruxelles, le 14 février 1850

Monsieur le Ministre,

Par votre lettre du 12 de ce mois, 5e division, n° 4927, vous me faites l’honneur de me demander différentes explications sur les comptes de l’Observatoire en 1849.

Vous me demandez d’abord comment il se fait qu’il y a annuellement une si grande quantité de vitres à remplacer. Je ferai remarquer d’abord qu’il n’existe peut-être pas à Bruxelles de bâtiment plus exposé que l’Observatoire. Ce bâtiment est d’une forme tout exceptionnelle ; il s’y trouve un grand nombre de fenêtres vitrées qui doivent être ouvertes et fermées plusieurs fois dans une même nuit. D’une autre part, je n’ai cessé de répéter dans mes différents rapports annuels que les boiseries étaient presque totalement détériorées, que quelques châssis mêmes sont dans un état déplorable. Ces châssis n’ont pas été réparés et les coups de vent cassent nécessairement les carreaux qui y sont attachés.

Le nettoyage des vitres ne saurait être fait par la concierge qui devrait abandonner son poste puisqu’il n’existe malheureusement aucune autre personne de service attachée à l’établissement. Ensuite une femme ne pourrait faire ce nettoyage qui est extrêmement dangereux, surtout dans la partie des toitures. Je dois faire observer encore, Monsieur le Ministre, qu’il ne s’agit pas de nettoyage seulement : tous les ans, les carreaux doivent être plus ou moins remastiqués.

Le compte de MENNIG se rapporte à la construction d’une forte traverse en fer avec anneaux qu’il a fallu adapter à la grande lunette placée sur la terrasse. Cette lunette subissait une flexion et menaçait de se rompre.
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Cette réparation toute spéciale a été faite à l’intervention et sur le devis de M. BEAULIEU, le mécanicien de l’établissement.

Le tapis livré par le Sieur DUMORTIER est placé autour de la grande salle de la bibliothèque, qui sert aussi de dépôt à de petits instruments dont les pieds en tombant pourraient se casser. La prudence, en pareil cas, exige le placement de tapis.

Le compte du Sr PAYEN se rapporte à des peintures faites dans mon cabinet de travail et dans celui des aides, ainsi que dans les couloirs attenants qui n’avaient jamais été repeints depuis la construction de l’Observatoire. Pendant ce travail, la concierge m’a prié de laisser peindre sa loge, par mesure de précaution pendant le choléra ; je n’ai pas cru devoir refuser cette autorisation. Ces travaux ont été faits à différentes reprises, non pas sur un devis général mais sur plusieurs devis particuliers que je me fais toujours présenter en pareil cas.

J’ai cru, Monsieur le Ministre, ne pas devoir vous importuner par des détails très secondaires qui souvent d’ailleurs exigent la connaissance des localités et des besoins spéciaux de l’établissement. J’aime à croire que le gouvernement qui me témoigne beaucoup de confiance dans les nombreuses et importantes commissions où il m’occupe chaque jour, ne m’en refusera pas dans les petits détails de l’Observatoire. Déjà la seule correspondance relative aux besoins de l’établissement m’enlève un temps précieux ; s’il fallait l’étendre encore, il me deviendrait de toute impossibilité de satisfaire aux différents services où l’on m’emploie.

Je dois à cette occasion vous parler, Monsieur le Ministre, d’un nouvel incident qui sera [NB : surchargeant « serait »], selon la manière dont vous l’envisagez, une nouvelle infraction au règlement ou un motif pour me louer de mon zèle en faveur de la propagation des sciences dans notre pays.

J’ai tâché de me mettre en relation avec les hommes les plus distingués de l’Europe et d’entretenir avec eux une correspondance qui pût tourner à notre avantage. Je suis lié d’amitié avec quelques-uns d’entre eux. Quelques-uns et M. WHEATSTONE en particulier, m’ont fait l’amitié de me mettre des premiers dans la confidence de leurs inventions et quelquefois de me transmettre leurs appareils, avant qu’on en eût connaissance dans le monde savant, bien entendu quand ces instruments étaient d’un prix médiocre et accessibles au budget de l’Observatoire.
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C’est ce qui est arrivé pour les télégraphes électriques qu’on a vu fonctionner à l’Observatoire de Bruxelles avant qu’on en eût connaissance partout ailleurs sur le continent. C’est à mon intervention qu’on en a vu les premiers exemplaires au Musée ; et dans le moment même où j’écris ces lignes, je reçois une lettre nouvelle de M. WHEATSTONE dans laquelle ce savant me transmet des renseignements précieux que réclamait le gouvernement pour l’établissement du système projeté des télégraphes électriques dans le royaume.

M. WHEATSTONE vient de m’envoyer en même temps pour les collections de l’Observatoire un instrument de son invention que les physiciens et les astronomes attendaient de lui depuis longtemps et pour lequel il nous avait promis la préférence. Cet instrument qui éclaircit la théorie des ondulations lumineuses et qui n’existe pas dans le commerce, a été fait sous ses yeux et tout exprès pour nous : son prix est de dix livres sterling. Nos professeurs les plus instruits ont la plus grande impatience de le voir. Maintenant, Monsieur le Ministre, faudrait-il refuser l’instrument de M. WHEATSTONE, ou le recevoir comme un nouveau service rendu par ce savant à notre pays ? Plusieurs de nos professeurs les plus instruits ont témoigné

J’aurai l’honneur d’attendre vos instructions.

J’avais cru pouvoir tirer parti de ma position pour doter notre pays de toutes les inventions nouvelles relatives à l’astronomie, à la météorologie et à la physique du globe, sans dépasser toutefois les limites que m’assignait le budget. Pour y réussir, il faut nécessairement que je puisse agir avec toute latitude. Jusque dans les dernières années, la marche que je suivais semblait approuvée par l’autorité. Si j’ai mal compris ma mission, veuillez, je vous prie, m’en instruire et je me conformerai à vos décisions.

Date: 
Thursday, 14 February, 1850 - 00:00
Written by: 
A. Quetelet
Addressed to: 
Charles Rogier, ministre de l'Intérieur
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