Note sur les besoins en personnel de l’Observatoire

Bruxelles, le 7 avril 1855
[À] M. le Ministre de l'Intérieur
Monsieur le Ministre,
Vous avez bien voulu me demander une note sur l’état de souffrance dans lequel se trouve l’Observatoire et sur les moyens d’y remédier.
En ce qui concerne les instruments, je n’ai rien à désirer. Mr de HUMBOLDT, lors de son dernier voyage à Bruxelles, considérait déjà cet établissement comme un des plus complets de l’Europe.
Il n’en est pas de même du personnel. Depuis quinze à vingt ans, rien n’a été fait pour améliorer la position de mes aides ; ils ont à peu près le même traitement que mon huissier. Peu à peu le découragement les a gagnés ; et ils ont fini par me quitter ou par mettre le temps qu’ils me donnent en rapport avec leur traitement.
Aux termes du règlement, je devrais avoir quatre aides : deux observateurs, un calculateur et un mécanicien pour l’entretien des instruments.
Or, depuis 3 à 4 ans, malgré toutes mes recherches, il me manque un observateur ; personne ne veut d’un traitement de 1 400 f avec les conditions qui y sont attachées, pas même les étudiants au sortir des universités. Je n’ai donc qu’un seul aide qui ne me donne que 4 à 5 heures par jour ; l’aide calculateur en a fait de même ; en sorte que tous deux font à peine la besogne d’une seule personne convenablement rétribuée.

De ce triste état de choses résulte que les travaux astronomiques sont à peu près nuls. Quant à la météorologie et à la physique du globe, notre Observatoire reste en première ligne ; en France, en Angleterre, en Allemagne, il n’y a point de contestation à ce sujet ; j’hésite d’autant moins à le dire que les journaux savants de ces pays le répètent chaque jour.
Cependant ce fleuron même tend à nous échapper, si l’on ne se hâte de renforcer le personnel, surtout en ce qui concerne les observations. Je n’insisterai pas sur la déplorable position qui m’est faite ; je l’ai suffisamment exposée dans tous mes rapports antérieurs. Au milieu de tant de faits que je pourrais citer, je me bornerai à en indiquer un seul.
La détermination de la différence de longitude entre deux points du globe est un des problèmes les plus délicats de l’astronomie pratique ; il appartient en même temps à la géodésie. A l’époque de l’invention de la télégraphie électrique, je m’adressai à MM. ARAGO et AIRY, directeurs des observatoires nationaux de Paris et de Greenwich pour rattacher notre observatoire aux leurs. Les deux illustres astronomes malgré leur amitié pour moi, me firent observer avec raison que la première épreuve devait appartenir aux deux observatoires les plus anciens et les plus considérables de l’Europe. Cependant, la mort d’ARAGO changea ces projets et nous permit de prendre l’initiative avec Greenwich, comme vous pouvez le voir par le mémoire de M. AIRY qui relate au long l’ensemble des observations faites dans cette circonstance.
M. LE VERRIER rattacha à son tour Paris à Greenwich ; il reste maintenant comme vérification de ces deux grandes opérations à faire un travail analogue entre Paris et Bruxelles. M. LE VERRIER m’a proposé de l’entreprendre dans le cours de cette année : l’épreuve est capitale ; et je crois pouvoir dire que le monde savant a les yeux fixés sur nous. J’éprouve aujourd’hui

je l’avoue des craintes que je n’avais pas autrefois. Cependant je n’hésiterai pas si le gouvernement me donne les secours auxquels je crois avoir droit dans une entreprise toute nationale.
Si le gouvernement ne croit point devoir demander aux Chambres l’ancien subside de 24 000 francs qui était alloué à l’Observatoire, le secours que je demande, c’est celui qui m’a été accordé déjà à une autre époque et dans des circonstances moins difficiles. M. LIAGRE, officier du génie, a été attaché temporairement à l’Observatoire ; je demanderai donc qu’on fasse pour mon fils ce qui a été fait pour cet officier ; je connais son zèle et son aptitude. Avec son secours, je pourrai terminer aussi des travaux qui sont en souffrance et spécialement l’ouvrage sur le Climat de la Belgique.
On a détaché temporairement des officiers du génie pour des entreprises industrielles ; y aurait-il anomalie à en détacher un pour un service public qui est en souffrance, j’ose croire que M. le Ministre de la Guerre apprécierait fort bien qu’il ne s’agit pas ici de faveurs à accorder, mais plutôt de faciliter des travaux utiles et honorables au pays.
Agréez &a

Datum: 
zaterdag, 7 april, 1855 - 00:00
Geschreven door: 
A. Quetelet
Gericht aan: 
Pierre De Decker, ministre de l’Intérieur
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