Projet de carte topographique du royaume, projet de Philippe Vandermaelen

[ceci est la première version de la réponse de Quetelet à la lettre du ministre de l'Intérieur du 22 août 1844]

Bruxelles, le 28 août 1844

Monsieur le Ministre,

Par votre lettre du 22 de ce mois n° 3193 A, 1ère division, vous avez bien voulu me demander mon avis sur le projet de carte topographique de la Belgique, présenté par M. VANDERMAELEN, et sur le mémoire contenant les objections de M. le Ministre de la Guerre relativement à ce même projet.

Après avoir examiné attentivement ces deux pièces, je ne puis que me rallier entièrement aux opinions émises dans le mémoire de M. le Ministre de la Guerre sur la valeur du spécimen de M. VANDERMAELEN. Les observations critiques que ce mémoire renferme sont si justes et reposent sur de si solides fondements que je crois inutile de chercher ici à les renforcer par de nouveaux argumens.

Dans l’état actuel de la science, la carte générale d’un royaume est considérée comme un monument national à la construction duquel un gouvernement éclairé ne peut apporter trop de soins. Il n’est pas seulement un juste sujet d’orgueil, il intéresse encore par son utilité toutes les branches de l’administration, et pour me servir des expressions d’un savant qui avait consacré toute sa carrière à la géodésie, je dirai avec le colonel PUISSANT que dans la direction des travaux civils de toute espèce, comme dans la formation des projets de route, de canaux et d’ouvrages d’art qui en dépendent, les plans topographiques accompagné de nivellemens, offrent les moyens de mettre en harmonie toutes les parties de ces travaux, d’en estimer les dépenses, et de prévoir les économies dont leur exécution bien entendue peut être susceptible. À la guerre, ils servent de guides sûrs aux troupes, et souvent ils font naître d’heureuses idées sur le meilleur système d’attaque et de défense ».

Mais pour présenter ce degré d’utilité, une carte doit réunir des conditions essentielles et des garanties qu’on a cru devoir demander dans chaque État aux hommes les plus exercés dans ces matières. Un pareil travail est en effet une œuvre très difficile, et l’on peut voir, dans les différens pays où l’on a approuvé son exécution, combien on a pris de précautions pour en assurer la réussite.

Les principaux points autour desquels les autres viennent se rattacher, doivent être déterminés avec des soins infinis et en fesant [sic] usage d’instrumens excellents et des méthodes géodésiques les plus parfaites. La France possédait déjà une carte dont la construction reposait sur une triangulation bien faite ; cependant, à l’époque où ils ont été faits, malgré les importans travaux de CASSINI, qui ont servi de modèles, la construction de la carte de la France [importants passages biffés illisibles] a été recommencée de nouveau et a été mise au niveau du perfectionnement de méthodes et des instrumens, les savants les plus instruits, les officiers les plus exercés ont été tour à tour employés à déterminer les points principaux ; on a fait usage de la grande triangulation qui avait été faite par les principaux astronomes de France pour déterminer la base du système métrique.

Indépendamment de ces travaux, une grande triangulation a été étendue sur tout le midi de la France, et s’est prolongée le long d’un parallèle jusque sur les frontières de l’Autriche en parcourant la Suisse, le Piémont et la Lombardie.

Pendant ce temps, des travaux non moins gigantesques s’étendaient sur les différents pays de l’Europe, et le gouvernement russe les étendait jusqu’au fond de la Sibérie.

La Belgique seule est restée étrangère à ce grand mouvement et laisse encore une lacune au milieu du vaste réseau trigonométrique qui couvre presque toute l’Europe.

Peut-être l’instant est-il venu de combler cette fâcheuse lacune ; peut-être notre pays possède-t-il même tous les élémens pour exécuter ce travail avec bien moins de frais qu’il n’en a fallu ailleurs.

Le besoin s’en fait sentir chaque jour davantage et la construction de la carte géologique l’a fait mieux apprécier encore. Cette belle entreprise dont vous avez apprécié l’utilité et toute

l’importance, marquera fera sans doute époque en Belgique et ne peut manquer de jeter du lustre sur l’administration [?] qui l’a conçu et le fera exécuter.

L’impulsion et d’avoir érigé des monumens qui seraient les plus honorables pour le royaume. [sic]

L’exécution se compose de différentes parties : une triangulation, des relevés de détail, des nivellemens, les mouvements de terrain, l’exécution matérielle. Tout sans doute ne serait pas à faire ; déjà un officier instruit avait, sous le gouvernement précédent, exécuté une triangulation, mais les détails originaux n’existent pas, l’auteur est mort et il serait au moins prudent de vérifier les principaux points.

Le Dépôt de la Guerre, le cadastre, le Ministère des Travaux publics possèdent également des matériaux précieux sur la topographie et le nivellement, mais ces matériaux doivent subir également un examen sévère et doivent pouvoir être coordonnés. Il faut mettre de l’unité dans ce chaos, le tout devrait avoir été mûri et l’on pourrait passer ensuite à l’exécution. Peut-être les travaux exécutés par M. VANDERMAELEN mériteraient une préférence pour cet établissement, mais le spécimen qui est fourni montre mieux que tous les raisonnemens, combien ce travail aurait besoin d’être dirigé, et de recevoir une impulsion toute scien[tifique].

Pour accéder au but désiré, il semblerait nécessaire de former une commission d’hommes spéciaux qui seraient chargés :

1° de faire un examen sévère des matériaux existant dans les archives du gouvernement qui peuvent être mis en œuvre dans la construction de la carte.

2° d’exécuter et de diriger les parties qui [?] lacunes et de rattacher en réseau aux travaux semblables qui ont été faits [dans les pays] voisins et d’en coordonner les élémens pour les livrer à la publicité.

3° de diriger l’exécution et les calculs du réseau géodésique qui doit servir de base à la carte et de les mettre en harmonie de recevoir et de coordonner les documens relatifs aux triangles secondaires et tertiaires.

4° de faire étudier les mouvemens de terrain et d’assembler les élémens du nivellement

5° de discuter et d’arrêter le mode de projection

6° de surveiller l’exécution matérielle de la carte.

Dans la commission qui serait nommée, l’état-major de l’armée plus spécialement
Les travaux de topographie et de nivellement appartenant plus spécialement au Dépôt de la Guerre, il semble naturel de faire intervenir trois personnes de ce service dans la commission projetée et d’y faire représenter chaque Ministère par un délégué. Peut-être, comme dans les autres gouvernemens, jugerez-vous convenable d’y faire entrer le directeur de l’Observatoire, les grands points de la triangulation lui étant réservés.

Date: 
Wednesday, 28 August, 1844 - 00:00
Written by: 
A. Quetelet
Addressed to: 
Jean-Baptiste Nothomb, ministre de l'Intérieur
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