Rapport sur l’état et les travaux de l’Observatoire en 1851

[ce rapport de Quetelet répond à la lettre du ministre de l'Intérieur du 29 janvier 1852]

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25 fév.1852

Monsieur le Ministre,

Depuis le rapport que j’ai eu l’honneur de vous présenter sur les travaux de l’Observatoire royal pendant l’année 1849, aucun changement important n’a été introduit dans cet établissement.

Météorologie et physique du globe. Les instruments munis de mouvements d’horlogerie qui enregistrent par eux-mêmes la pression atmosphérique, la température et l’humidité de l’air, la direction et la force des vents, ainsi que la quantité de pluie tombée, ont continué à marcher avec régularité.

On a continué, d’une autre part, à observer directement ces mêmes éléments météorologiques, à 9 heures du matin, à midi, à 3 et à 9 heures du soir, de manière à contrôler les observations obtenues avec les instruments d’horlogerie, et à se procurer quatre points de repère dans l’intervalle de 24 heures.

Les observations faites, à heures fixes, se rapportent de plus au degré de sérénité du ciel, à la forme et à la direction des nuages, à la déclinaison et à l’inclinaison magnétiques, et à l’électricité dynamique de l’air. L’électricité statique fait, depuis 1844, l’objet d’études constantes dont les résultats ont mérité l’approbation des principaux physiciens qui se sont occupés de ce genre de phénomène (1).

(1) Voyez le rapport de M. WHEATSTONE à l’exposition britannique à Birmingham en 1849. Report &a et la lettre de M. FARADAY dans le Philosophical Magazine.

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Les résultats sont principalement dus à un nouveau mode d’observation qui commence à être adopté par les savants.

Le rayonnement solaire, les températures de la terre, les phénomènes périodiques des plantes, les aurores boréales, les étoiles filantes et en général les principaux phénomènes de la physique du globe ont également continué à être enregistrés avec soin.

Astronomie. Immédiatement après le placement d nos instruments méridiens, j’avais réuni, pendant les années 1837, 1838 et 1839, un assez grand nombre d’observations sur les positions absolues des étoiles doubles et multiples, ainsi que sur d’autres étoiles dont la position douteuse avait été signalée à l’attention des observateurs par la Société royale astronomique de Londres. Ces observations qui avaient dû être abandonnées pendant plusieurs années ont été calculées dans ces derniers temps par M. MAILLY ; et elles ne tarderont pas à être publiées.

Les positions de la plupart des étoiles du catalogue ont été observées de nouveau dans ces derniers temps ; elles ont été reprises à la fois à la lunette méridienne et au cercle mural ; ce qui n’avait pu avoir lieu, lorsque je me trouvais seul pour les travaux astronomiques.

Les travaux utiles pour la science n’ont rien de brillant aux yeux du monde qui préfèrent en général qu’on s’occupe des phénomènes actuels que présente le ciel. J’ai la confiance qu’ils ne seront pas indignes de l’approbation des véritables amis de l’astronomie.
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Publications. Depuis mon dernier rapport, l’Observatoire a fait paraître :

1° Les Annales de l’Observatoire de Bruxelles, tome VIII, 1ère partie
2° Les Annuaires de l’Observatoire pour 1851 et 1852, 18e et 19e années
3° Sur le climat de la Belgique. Pressions et ondes atmosphériques, tome 11, 1ère partie
4° Observations des phénomènes périodiques, pour 1849 et 1850

Ces dernières observations sont publiées par l’Académie royale ; cependant les tableaux sont dressés et calculés à l’Observatoire.

Quant à l’ouvrage Sur le climat de la Belgique, il paraît par parties dans les Annales de l’Observatoire. Celles qui ont été publiées jusqu’à présent comprennent : 1° le rayonnement solaire et les températures de l’air et du sol ; 2° les phénomènes périodiques des planètes ; 3° la direction, l’intensité, la durée et les caractères distinctifs des vents ; 4° l’électricité atmosphérique ; 5° les pressions et les ondes atmosphériques.

Permettez-moi, Monsieur le Ministre, de fixer un instant votre attention sur cette dernière partie, comme je l’ai fait pour les autres, dans mes rapports précédents. Les recherches sur les ondes atmosphériques peuvent être considérées comme appartenant à une branche toute nouvelle de la météorologie, qui a surtout pour objet de montrer, sous un aspect plus général, les grands phénomènes qui traversent notre atmosphère.

Les oscillations atmosphériques ne sont jamais purement locales ; elles se font sentir à des distances plus ou moins grandes ; quelques-unes même peuvent embrasser des régions immenses dans leur parcours et former de véritables ondes. Depuis longtemps j’avais invité les physiciens à s’occuper de ce sujet important, et un grand nombre m’avaient fait parvenir leurs observations recueillies sur différents points de l’Europe. En 1843, j’énonçais ainsi qu’il suit le but qu’il s’agissait d’atteindre : « l’étude des oscillations atmosphériques, si elle était entreprise par un assez grand nombre d’observateurs, révèlerait les faits les plus curieux, elle nous ferait connaître la grandeur des ondes atmosphériques, leur vitesse de progression, le sens général de leur mouvement ; les lieux où elles se forment ; ceux où elles s’effacent ; l’influence

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que peuvent avoir les montagnes ou certaines localités pour les modifier, et une infinité d’autres circonstances que nous ne pouvons pas même prévoir ». C’est cette étude que j’ai essayé d’aborder avec les matériaux que j’avais recueillis. Si je n’ai point entièrement résolu ce problème si compliqué, j’ose avoir au moins réussi à en éclaircir quelques parties. Voici les principales conclusions auxquelles je suis parvenu :

[NB. Le passage suivant, indiqué entre crochets, provient de deux pages typographiées, découpées et collées sur le rapport de Quetelet. Ces pages proviennent vraisemblablement d’un travail imprimé sur les pressions et ondes atmosphériques faisant partie d’un ouvrage de Quetelet sur le climat de la Belgique.]

« 1° L'atmosphère est généralement traversée par plusieurs systèmes d'ondes différents. Ces ondes interfèrent et produisent, pour chaque lieu de la terre, un état spécial de pression.

2° Au milieu de tous les mouvements particuliers, il se prononce un système d’ondes prédominant qui semble rester à peu près constant pour un même climat.

3° Les ondes atmosphériques, tant en Europe qu'en Asie, se propagent du nord au sud, sans avoir toutefois la même vitesse ; elles marchent plus rapidement dans le système asiatique et dans le système de l'Europe centrale, qu'en Russie ou dans les montagnes de l’Oural.

4° Les ondes atmosphériques semblent se propager avec moins d'obstacles à la surface des mers qu'à l'intérieur des terres. En général les aspérités du globe, et particulièrement les chaînes de montagnes, diminuent leur vitesse et modifient aussi leur intensité.

5° L'inégalité de vitesse sur le continent, d'une part, et dans le voisinage de la mer, de l’autre, explique les inflexions qu'éprouve, dans son étendue, la ligne qui figure la marche générale des ondes dans notre hémisphère.

Cette ligne se replie de manière à être poussée en avant dans le sens de la plus grande vitesse ; ainsi, l'onde pénètre presque en même temps sur le continent européen par les différentes côtes de la mer du Nord, de l’Océan et de la Méditerranée ; d’autre part, elle vient aboutir presque en même temps le long de la chaîne de l’Oural ou de celle des Alpes tyroliennes.

6° La vitesse avec laquelle les ondes barométriques se propagent est très-variable ; elle peut être estimée moyennement de 6 à 10 lieues de France à l’heure : elle est un peu plus grande dans l’Europe centrale et moindre en Russie.

Au reste, cette vitesse varie d’une onde à l’autre ; elle varie même pour les différentes parties d’une même onde : comme nous l’avons déjà fait remarquer, elle est le plus grande [sic] vers les côtes, et dans tous les endroits où la propagation du mouvement paraît plus libre. Au contraire, dans le voisinage des montagnes et des plateaux, cette vitesse diminue notablement ; dans l’Oural, elle se réduit parfois à moins de 2 lieus par heure.

7° Les directions des vents n’ont pas de rapports apparents avec les directions des ondes barométriques. »

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Pour compléter l’énumération des travaux qui m’ont occupé dans ces derniers temps, j’aurais à en citer plusieurs autres encore : les uns ont été entrepris sous les auspices du gouvernement, les autres ont été faits dans l’intérêt de la science.

À ces derniers appartiennent principalement la rédaction des Bulletins et des Annuaires de l’Académie royale ; la surveillance de l’impression des Mémoires de ce corps savant et la direction de l’Encyclopédie populaire pour la partie des sciences. Cette vaste entreprise, sous une forme modeste, a réuni la plupart des savants les plus distingués du royaume qui n’ont pas dédaigné de faire plier le langage scientifique aux exigences des gens du monde.

Pour répondre à l’appel du gouvernement, j’ai pris part aux travaux d’un grand nombre de commissions et spécialement de celles dont les noms suivent :

La commission centrale de statistique ;
La commission des poids et mesures ;
La commission de la caisse générale de retraite établie par le gouvernement belge ;
La commission des pensions pour l’enseignement supérieur (1) ;
La commission des Annales des Travaux publics ;
La commission des télégraphes électriques ;
La commission de la Bibliothèque royale.

Les fonctions délicates de membre du jury auprès de l’exposition universelle de Londres et celles de commissaire du gouvernement pour l’inspection des athénées m’ont également occupé pendant le cours de l’année dernière. L’organisation du service des poids et mesures et le projet de loi relatif à ce sujet important ont exigé de nombreuses conférences de la commission que j’avais l’honneur de présider. Mais parmi les travaux accessoires que le gouvernement a bien voulu me confier, il n’en est point qui aient plus vivement excité mon attention que ceux de la commission centrale de statistique. J’ai eu occasion d’y présenter successivement trois mémoires sur les tables de mortalité, sur les tables de population de la Belgique et sur la théorie générale de ces tables. Ce sujet difficile, plus difficile qu’on ne le pense communément, appartenait en même temps aux travaux d’autres commissions dont je fesais [sic] partie, et se rattachait d’ailleurs étroitement aux intérêts du pays.

(1) Je dois ajouter encore à ces commissions celle de la caisse centrale des artistes belges établie sous les auspices de l’Académie

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Peut-être l’institution de la Commission centrale de statistique, si on lui conserve les larges bases sur lesquelles elle est assise, formera-t-elle plus tard un des plus beaux titres de la Belgique dans la part qu’elle aura prise au perfectionnement des sciences politiques. Tel est du moins le jugement des hommes les plus compétents dans ces sortes d’études.

Il ne faut pas la voir dans le présent ; la plupart des documents qu’elle réunit laissent encore à désirer mais quand on veut construire un monument, la pierre ne sort point toute façonnée de la carrière ; il faut que la science et l’art lui aient donné sa forme et sa valeur.

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Instruments et bibliothèque. Je l’ai déjà fait observer dans mon rapport précédent, la réduction de 2 000 francs faite sur le budget de l’Observatoire, réduction minime en apparence et qui semblait d’ailleurs ne devoir être que temporaire, a porté un notable préjudice aux collections et aux travaux de l’Observatoire. Il a fallu abandonner une partie des impressions commencées et renoncer à l’augmentation de la collection des instruments pour la météorologie et la physique du globe, collection que les savants s’accordaient à considérer déjà comme une des plus remarquables de l’Europe. Je ne parle pas des instruments astronomiques dont les prix sont généralement très élevés ; il faudrait nécessairement des allocations extraordinaires pour pouvoir en augmenter le nombre, bien qu’il existe à ce sujet de déplorables lacunes.

Cependant de sévères économies ont permis d’acquérir les ingénieux instruments de MELLONI qui sont destinés à observer le rayonnement calorifique dans ses rapports avec l’astronomie et la physique du globe. Nous nous sommes procuré également les appareils de FARADAY pour l’étude des propriétés diamagnétiques des corps et deux petits télégraphes électriques destinés à correspondre de loin et à exécuter des séries d’observations relatives à la hauteur des nuages.

Un arrêté royal en date du 15 mai dernier, a créé à l’Observatoire royal un dépôt général d’instruments en faveur des jeunes gens qui cultivent les sciences d’observation et qui désirent se livrer à des séries d’expériences ; mais jusqu’à présent il n’a été donné aucune suite à cet arrêté conçu dans le but le plus louable et qui pourrait avoir les résultats les plus utiles.

Seulement huit collections d’instruments météorologiques ont été commandées en faveur des écoles d’agriculture de l’État et ont été confiées aux professeurs de physique de ces établissements, sous condition de communiquer les observations au directeur de l’Observatoire royal qui en publiera les résultats. Cette mesure si avantageuse pour la science a eu un commencement d’exécution et tout fait espérer qu’elle produira ses fruits.

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La bibliothèque ne se distingue moins par le nombre des ouvrages qu’elle renferme, que par leur qualité. Elle n’est pas seulement de la plus grande utilité à l’établissement, mais elle a facilité encore les travaux de plusieurs savants qui s’occupent des sciences d’observations et qui y ont trouvé des ouvrages qu’ils avaient inutilement cherchés dans d’autres collections. Notre bibliothèque fait des échanges avec tous les observatoires qui publient leurs travaux ; on conçoit que, sous ce rapport, elle doit avoir une valeur très grande, car ces genres de publications n’existent pas dans le commerce.

Bâtiments. L’état de délabrement dans lequel on a laissé pendant longtemps les bâtiments de l’Observatoire, se fait sentir encore d’une manière fâcheuse, malgré les soins d’entretien plus assidus qu’on lui donne depuis quelques temps.

La grille qui longe le bâtiment et les murs de clôture extérieur sont dans un état déplorable. Par suite il me serait impossible de répondre de la conservation des instruments, comme aussi d’empêcher les fraudes de l’octroi qui se feraient pendant la nuit à travers le jardin de l’établissement.

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Aides. Les éloges que j’ai donnés précédemment à mes anciens aides, je ne puis que les confirmer encore aujourd’hui : grâce à leurs soins, les travaux de l’Observatoire ont pu continuer à marcher avec régularité.

J’avais depuis longtemps cherché à faire apprécier l’avantage d’attacher temporairement à l’Observatoire, au moyen de subsides, des jeunes gens annonçant du goût et des dispositions spéciales pour les sciences d’observations. Vous avez bien voulu accueillir cette idée, Monsieur le Ministre, et vous m’en avez adressé successivement trois qui venaient de terminer avec distinction leurs études à l’école du génie civil, établie auprès de l’Université de Gand. Cette épreuve, je dois l’avouer, n’a pas complètement répondu à mes espérances ; et je pense que vous en apprécierez facilement les motifs. Ces jeunes gens ne laissent sans doute rien à désirer sous le rapport de leurs connaissances scientifiques qui vont même au-delà de ce que je pouvais désirer ; je n’ai également qu’à me louer de mes rapports avec eux. Mais d’une autre part, il m’a été impossible jusqu’à présent de leur inspirer le goût des sciences de l’observation. Ils considèrent le subside qui leur est accordé comme un traitement d’attente et ils ne [se] livrent qu’avec une espèce de répugnance à des travaux qu’ils regardent comme étrangers à ceux qui doivent les occuper par la suite. Ils ne cachent pas même leur pensée à cet égard. J’estime donc que l’expérience tentée en ce moment ne peut conduire à aucun résultat satisfaisant. Elle ne fait que montrer la nécessité de réserver les subsides en question à des jeunes gens qui non seulement ont fait preuve de goût et d’aptitude pour les sciences d’observation, mais encore qui n’ont pas déjà une autre destination déterminée.

Bruxelles, le 25 février 1852.

Datum: 
woensdag, 25 februari, 1852 - 00:00
Geschreven door: 
A. Quetelet
Gericht aan: 
Charles Rogier, ministre de l'Intérieur
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