Séjour à Paris, projet d’observatoire à Bruxelles, projet de voyage à Londres

[NB. Le début de ce rapport non daté commence au §2 de la p. 1 : Monseigneur, etc.]

J’ai fait dans ces derniers temps la connaissance de l’astronome BURCKART [Johann Karl BURCKHARDT], que je n’avais pu voir jusqu’alors. Il m’a reçu avec la même bienveillance, avec le même empressement que ses autres collègues. J’ai eu l’occasion d’examiner ainsi l’observatoire de l’Ecole militaire qu’il m’a montré dans tous ses [détails ?].

Monseigneur, la faculté que vous m’avez accordée de prolonger mon séjour à Paris m’a mis à même de prendre quelques renseignemens qui me manquaient encore et de continuer à établir de nouvelles relations.

D’une autre part, j’ai pu faire achever sous mes yeux les instrumens destinés au cabinet de Bruxelles dont vous avez bien voulu faciliter l’entrée en Belgique. J’ai également jeté sur le papier mes idées sur la formation d’un observatoire et avant d’avoir l’honneur de vous les soumettre, j’ai voulu consulter encore en particulier les astronomes du Bureau des longitudes qui ont pris plaisir à discuter avec moi la chose dans les plus grands détails.
J’aurais peiné à exprimer tout l’intérêt que chacun a paru prendre à cette discussion ; on dirait qu’il s’agit d’un monument national qu’on propose de leur accorder.

Mr LA PLACE m’en a parlé plusieurs fois et toujours de la manière la plus encourageante, toujours en me fesant [sic] sentir l’importance d’un pareil établissement et les services que j’y pourrais rendre aux sciences.

Les astronomes de l’Observatoire Royal ont pris de leur côté l’engagement de correspondre avec activité et d’établir les relations les plus étroites ; deux d’entre eux, MM. BOUVARD et NICOLLET m’ont même promis de venir assister aux premiers travaux et au placement des instruments dans le cas où nous serions assez heureux pour obtenir ce nouveau triomphe pour les sciences, par un sentiment d’amour pour la science et j’oserais dire par un sentiment d’amitié que je suis fier de leur avoir inspiré.

Je sais fort bien, Monseigneur, qu’en m’envoyant ici, vous n’avez prétendu prendre aucun engagement pour l’avenir mais un observatoire est un monument si utile et à la fois si honorable pour une nation que, toujours porté vers ce qui est grand et utile, vous n’avez sans doute pas manqué d’en sentir l’importance. Aussi, par un juste sentiment, je me plais à placer d’avance votre nom à côté de celui du grand

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COLBERT, fondateur de l’observatoire de Paris. De jour en jour j’apprends mieux que l’astronomie est une science que l’on ne peut point aimer à demi et qu’on lui sacrifie sans peine tous les autres plaisirs, toute son attention et même son existence. Je crois donc mériter bien peu d’elle en me bornant aux travaux dont je m’occupe ici. Depuis près de six semaines le temps est si constamment mauvais qu’il est impossible de faire aucune observation, aucune expérience sur la lumière, heureusement, j’ai maintenant les données qui m’étaient nécessaires, il me suffit par la suite de correspondre avec l’Observatoire de Paris. Il devient donc inutile de rester plus longtemps et de dépenser un argent que je pourrais employer peut-être plus utilement en voyant un autre observatoire.

C’est aussi l’opinion de son Excellence le Général FAGEL à qui j’ai eu l’honneur d’exposer les motifs de mon départ, je supplierai donc votre Excellence de me permettre d’aller passer à Londres une partie du tems qu’elle m’accordait encore de passer ici. Comme il ne s’agit que de voir l’observatoire, peu de tems me serait nécessaire et votre Excellence se trouvant sur les lieux pourrait me protéger immédiatement. Peut-être même si ses importantes occupations lui laissaient un moment de loisir, pourrait-elle trancher la difficulté et s’assurer par elle-même de l’exactitude du rapport que j’aurai l’honneur de lui soumettre. Si je suis exigeant en demandant une nouvelle faveur, j’espère, Monseigneur, que vous me rendrez du moins la justice de croire que mes intentions sont pures et que je n’ai voulu me mettre en avant qu’après avoir vu ce qu’il m’importait de connaître ; vous auriez sans doute les plus grands motifs de m’en vouloir si après avoir fait des sacrifices pour avoir un bon observatoire, vous vous trouviez

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trompé dans vos espérances et si je n’avais qu’un monument inutile comme en ce moment le nouvel observatoire de Bude s’il faut en croire l’astronome ZACH. Si j’avais le bonheur d’entretenir un instant Votre Excellence, je pense que je serais pleinement justifié et qu’elle partagerait sans peine mes espérances pour l’avenir. Elle sentirait que je suis bien loin de songer à moi et que mes idées ont un but plus relevé, je crois qu’on pourrait obtenir de grands résultats avec peu de moyens. Une pareille assertion paraîtra peut-être hasardée mais j’ai toutes les preuves nécessaires pour l’appuyer et j’attends avec impatience l’instant de pouvoir les faire connaître, j’attache trop de prix à l’honorable confiance qu’elle a bien voulu me témoigner pour ne pas chercher à la mériter entièrement. Malheureusement, je me trouve réduit à m’exprimer ici en termes vagues, tandis que les choses que je voudrais rendre se présentent clairement pour ma pensée mais elles exigent trop de développement pour être contenues dans les bornes d’une lettre. Je ne puis pas non plus les faire entrer dans le projet dont je m’occupe puisqu’elles ne s’y rattachent qu’indirectement. Je dois donc attendre des temps plus favorables. Je compte partir dans quelques jours pour Bruxelles, où j’aurai l’honneur d’attendre les ordres de Votre Excellence. Quels qu’ils soient, je les recevrai avec reconnaissance. Mr VAN EWYCK m’avait annoncé il y a quelques temps qu’il venait de faire en votre nom une nouvelle demande au Roi pour me donner les moyens de prolonger mon séjour à Paris, je n’ai plus de nouvelles depuis : j’ai cru alors faire pour le mieux en retournant en Belgique. Si vous jugez, Monseigneur, qu’il soit nécessaire que je demeure à Bruxelles, je n’aurai plus besoin de rien. Si au contraire vous m’accordez ma demande, ce que le Roi me donnera ou bien ce que je pourrai réunir moi-même sera employé à faire le voyage.

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Quand je serai de retour à Bruxelles, je crois, Monseigneur, que je ne n’agirais pas contre vos vues en fesant [sic] sentir à la Régence combien il lui importe de chercher à mériter l’observatoire et à partager les dépenses que nécessiteront les travaux de l’établissement. Je […] bien entendu que votre nom n’y interviendra absolument en rien, je me suis même fait une loi de ne rien ébruiter à cet égard et j’ai eu la satisfaction de voir que nos journaux qui font toujours beaucoup de bruit pour peu de choses n’ont pas encore parlé du projet sur lequel reposent mes plus chères espérances.

Le peu de tentatives que j’ai pu faire jusqu’à présent auprès de la Régence ont parfaitement réussi et je ne renoncerais pas à l’espoir de la voir un jour elle-même demander à partager les dépenses. Ainsi à peu de frais vous aurez un monument qui fera honneur au pays et à celui qui l’aura fait. Il est d’autres avantages peut-être plus précieux encore qui se présenteront en même temps et comme d’un [?] mais je le répète, je ne puis les indiquer ici et c’est cependant sur eux que je place toutes mes espérances pour l’avenir.

Datum: 
vrijdag, 31 december, 1824 - 00:00
Geschreven door: 
A. Quetelet
Gericht aan: 
Antoine Reinhard Falck, ministre de l’Instruction publique
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