Départ de Falck pour Londres, situation de l’Académie

[ancienne annotation] : 003

A Son Excellence le Ministre de l’Instruction publique &a [etc.]
Monseigneur,

La lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire et que j’attendais avec tant d’impatience, m’a fait éprouver de bien vifs regrets. Sans doute j’aurais été très flatté de pouvoir me rendre en Angleterre et de chercher sous vos yeux à acquérir de nouvelles connaissances : mais ce plaisir quelqu’il soit, peut être différé : tandis que la perte que je suis sur le point de faire est irréparable. Je n’ai jamais mis en avant mon intérêt personnel ; mais j’aime mon pays, et soutenu par vous, j’espérais faire quelque chose pour sa gloire.

Aujourd’hui cet espoir, mon unique bien, m’est peut-être enlevé pour toujours ; car il ne paraît que trop certain que votre Excellence va résider désormais en Angleterre, je sens maintenant que les meilleures intentions, que l’assurance même de réussir dans l’exécution d’une entreprise utile, sont des conditions insuffisantes. Dans la position où je me trouve, je ne puis rien par moi-même ; et c’était un bonheur pour moi de vous devoir tout. Mais j’aime à croire que par votre appui quoique absent, je pourrai parvenir encore au but de mes désirs.

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D’autre part, s’il est vrai que nous devons vous perdre, peut-être trouverai-je quelques motifs de consolation auprès de votre successeur, surtout si la partie de l’Instruction demeure confiée à Mr VAN EWYCK : c’est souvent par lui que vos bienfaits sont arrivés jusqu’à moi, et l’intérêt qu’il paraissait prendre à l’entreprise que vous m’aviez confiée me donne quelque espoir qu’il voudra bien me seconder encore.

La Régence de Bruxelles était entièrement disposée à entrer en accommodement ; jamais elle ne m ‘avait parue plus digne de mériter la préférence : si Votre Excellence passe par Bruxelles à son retour, et si elle veut bien consacrer quelques instants à m’entendre, je pense qu’elle en demeurera convaincue ; elle pourrait même terminer encore cette entreprise dont l’heureuse idée lui appartient entièrement.

L’éternel Mr THIRY est revenu de La Haye ; il paraît moins disposé que jamais à renoncer à sa place : ainsi mon purgatoire recommence : nouveau Sisyphe, mon rocher retombe et je me trouve écrasé sous son poids au moment où je pensais en être délivré.

Je ne vous ai jamais parlé des 400 francs que le Général FAGEL m’a remis en votre nom, je pense Monseigneur, que cette avance était prise sur vos propres fonds, j’ai prié Mr VAN EWYCK de vous en écrire : il a encore entre les mains la dernière gratification du Roi : je crois qu’en toute sureté de conscience je puis réclamer le surplus, lorsque cette somme vous aura été remise.

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Notre pauvre Académie marche encore toujours en boitant, comme plusieurs autres qui lui ressemblent : elle a cependant la prétention de marcher droit, et je me garderai bien de la contrarier. On y fait éternellement de l’histoire nationale et des mathématiques pures : elle s’est tracé un petit cercle dont elle ne sort pas, elle fait continuellement des pas en arrière, je ne sais si c’est pour sauter plus fort : mais j’ose bien assurer que si elle ne se trouve un peu ranimée avant peu, elle court grand risque de sauter de façon ou d’autre.

Votre commission du Musée au contraire prend plus de consistance : les collections s’agrandissent de jour en jour : on s’aperçoit qu’on pourrait faire quelque chose de Bruxelles et cela avec bien peu de moyens.

Les docteurs sont jaloux de vos cabinets, cependant ils ont coûté dix fois moins chers que les leurs.

Il est arrivé cette année un assez grand nombre de mémoires au concours de l’Académie : il faut attendre maintenant pour juger de la qualité.

J’ai eu la satisfaction de voir un de mes élèves, actuellement à Gand, remporter le 1er prix de mathématiques à Leyde. Cette satisfaction compense un peu ce que j’ai éprouvé en voyant leur observatoire. Je n’entends guère parler des observations qu’on fait dans cette dernière ville. Cependant la comète, qui vient de paraître leur donnait ample matière. En fait d’observations, je doute qu’il soit possible d’en faire une plus bouffone que celle qui a été faite à Louvain. Je ne prétends [page 4] pas dire qu’elle ait été faite par un docteur : les docteurs sont trop graves pour cela : mais j’oubliais que un mauvais plaisant s’est avisé de donner un pied et demi de longueur à la queue de la comète et je ne sais combien de pouces à son noyau et la chose a été répétée sérieusement dans tout le pays grâce à nos journaux j’avais renoncé à parler des docteurs et je ne sais comment cela se fait, quand je veux rire, ils se présentent d’abord à ma pensée je ne devrais cependant pas oublier ce que cela m’a déjà valu.

D’après ce que Votre Excellence m’avait fait l’honneur de m’écrire, j’espérais la voir bientôt à Bruxelles mais il paraît que son retour sera différé encore. En attendant cet heureux instant, je la prie de vouloir bien agréer les sentimens [sic] de ma considération la plus respectueuse.

Son très dévoué serviteur,
[signé] Quetelet

Bruxelles, le 7 février 1824

Datum: 
zaterdag, 7 februari, 1824 - 00:00
Geschreven door: 
A. Quetelet
Gericht aan: 
A.R. Falck
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