[note moderne] 011 / 4xFd
[NB. Ce rapport n'est pas daté].
Si je ne me trompe, c’est au concours de Harlem qu’on a posé une question sur les aimants, en défendant d’employer dans la réponse l’usage du calcul. Mr POISSON vient de traiter ici cette question avec toute la supériorité de son talent et c’est du calcul seul qu’il fait dépendre la solution du problème. L’Académie de Bruxelles, qui cloche bien aussi de temps en temps, a du moins eu le bon esprit de poser cette fois la question comme le demandait la dignité de la science.
De pareils hommes sont bien faits, je crois, pour être cités comme autorité, cependant malgré leur avis, si l’on en croyait quelques hommes dans nos provinces méridionales, il faudrait supprimer plusieurs chaires de mathématiques. Heureusement, tant que Votre Excellence sera là, nous n’aurons rien à craindre de semblable : elle sait trop bien que l’époque de notre histoire la plus honorable a été aussi l’époque la plus brillante pour les sciences exactes, les hommes d’état les plus distingués ne les dédaignaient plus. Le grand [illisible] LAVIT marchait sur les traces d’HUYGENS et STEVIN était le bras droit conseil de [sic]. Je me trouve fort embarrassé pour ménager ici une transition pour descendre de bien haut, il faut un certain intervalle de temps et je voudrais en venir à moi afin de contribuer autant que mes faibles moyens me le permettrait [sic], à répandre chez nous la connaissance des dernières découvertes de la physique. J’ai fait construire ici pour le cabinet de Bruxelles plusieurs instrumens nouveaux. Quelques-uns même paraîtront en Belgique pour la première fois. Tels sont les appareils complets de Mr AMPÈRE pour toutes les expériences électro-magnétiques, l’instrument de Mr OERSTED pour montrer l’élasticité de l’eau, les lampes à gaz hydrogène pour enflammer un courant par l’étincelle électrique ou par l’éponge de platine, l’instrument de Mr FRESNEL pour expliquer le système des ondes lumineuses, des interférences, &c. Ainsi nous l’aurons les premiers en Belgique. J’ai l’avantage de pouvoir suivre avec les inventeurs toutes ces expériences nouvelles. Je consacre à ces occupations les instans que je dérobe à l’astronomie.
Je continue mes visites à l’Observatoire, j’y trouve toujours la même obligeance. Je serais chez moi que je ne jouirais pas d’une plus grande liberté. Tout m’est ouvert, tous les instrumens sont à ma disposition. Mr BOUVARD continue à me
[page 2]
communiquer ses calculs et ses préceptes avec une rare patience puisque je passe quelques fois cinq heures chez lui. Il m’indique la route à suivre et me confie ses papiers. Je reçois le même accueil chez les autres savans ; je me trouve même si bien que je resterais plus longtemps, si des motifs plus urgens ne me rappelaient chez moi. Quand on descend des hauteurs de la science aux profondeurs de sa bourse, on est quelques fois bien étonné du vide que laissent les choses d’ici-bas.
Dans mes instans perdus, j’ai travaillé pour l’Académie de Bruxelles. J’ai terminé un mémoire que Mr LACROIX a bien voulu examiner ; j’attends sa décision pour le mettre au feu ou le rapporter avec moi. Je viens de recevoir indirectement de la Belgique un mémoire qui annonce beaucoup de talens dans son auteur. Il est d’un jeune Italien, Mr PAGANI, élève de Mr PLANA de Turin. Ce jeune homme paraît décidé à rester à Bruxelles, il y donne des leçons particulières. Il a d’excellentes recommandations de Mr PICTET de Genève. Comme Votre Excellence prend intérêt aux hommes qui annoncent des talens, je crois pouvoir lui signaler celui-ci ; il est plein de zèle et même d’enthousiasme pour les sciences. Il fraternise en ce moment avec Mr LOBATTO, ils se régalent ensemble d’analyse d’algèbre et de géométrie. C’est avec cette étoffe qu’on fait les bons mathématiciens.
En terminant cette lettre déjà trop longue peut-être, je me permettrais d’ajouter encore quelques mots sur le problème qui m’occupe ici entièrement, c'est-à-dire sur la formation d’un observatoire qui entraînerait le maximum d’utilité et le minimum de dépenses.
[page 3]
J’en ai déjà beaucoup causé avec les savans d’ici et tous sont d’avis qu’il vaudrait mieux n’en point faire que d’en construire un médiocre. Je ne parlerais pas des avantages qu’il présenterait à la science, indépendamment de l’honneur qui en rejaillirait sur le pays, un pareil établissement paraît même indispensable pour un pays où la marine est quelque chose et où l’on possède des colonies. L’astronomie y doit avoir nécessairement un sanctuaire. Les dépenses seraient peu considérables. Pour faire très largement les choses, le prix de tous les instrumens n’excéderaient pas 60 000 francs ; la construction du bâtiment coûterait bien moins puisqu’il doit avoir peu de dimensions. D’ailleurs ces dépenses pourraient se faire insensiblement. Tel particulier millionnaire de Bruxelles qui ne vit que pour la digestion, s’il songeait un peu à sa gloire, pourrait en acquérir à bon compte. Il pourrait à lui seul se former avec 100 000 f. d’avance des droits à la reconnaissance des Belges. J’ai développé déjà mes raisons pour donner la préférence à Bruxelles. L’observatoire de Paris a quatre astronomes. Un observatoire bien monté ne peut guère en avoir moins que deux ; on pourrait par économie attacher ces places à celles de professeur de math. à l’Athénée ou de physique, mais il faudrait pour cela des hommes actifs et plus occupés de mériter les faveurs d’Uranie que celles de la fortune. Ce n’est pas que je prétende qu’on doit trop dédaigner l’une pour l’autre.
Vers la fin de ce mois, je compte retourner à Bruxelles. Si alors Votre Excellence le désire, je lui soumettrai un rapport sur l’établissement d’un observatoire ou bien, ce qui vaudrait peut-être mieux encore, je
[page 4] me rendrai à La Haye : en lui soumettant mes observations, je pourrai répondre plus facilement aux objections qu’elle aurait à me faire. J’aurais en même temps l’honneur de l’entretenir sur d’autres objets qu’elle ne regarderait peut-être pas comme indifférens et qu’il serait trop long de lui exposer par écrit.
Je prie V.E. de me continuer la bienv. dont elle m’a donné tant de preuves flatteuses et de me croire avec le plus profond respect